Risques, facteurs de réussite, le Docteur Charlotte Degien (MB VET) répond à nos questions sur le transfert d’embryon.

Interview

Le TE se développe de plus en plus. Qui sont les clients qui veulent faire du transfert et quelles sont leurs motivations ?
Il y a trois grandes catégories de clients au transfert : les propriétaires de juments de sport qu’ils souhaitent garder en compétition, les juments identifiées comme n’étant pas capables de porter, et les très bonnes reproductrices dont on veut optimiser le nombre de poulains.

Quel est le pourcentage de chance de réussite d’un transfert ?

Si on prend en compte l’ensemble des étapes d’un transfert, la chance d’avoir une porteuse pleine à 45 jours se situe entre 50 % et 60 %.

L’âge de la jument a-t-il un impact sur la réussite du transfert ?

L’âge de la donneuse est important car il faut qu’elle prenne en tout premier lieu. Or, la fertilité de la jument diminue avec l’âge. Mais il y a d’autres facteurs tout aussi importants qui entrent en considération, et notamment la bonne synchronisation avec la receveuse car une fois l’embryon donné, il doit être correctement réimplanté.

Comment fonctionne la synchronisation de la donneuse avec la receveuse ?

Quand on a à disposition un troupeau de porteuses, on suit le cycle de chacune et leur date d’ovulation. On choisit alors celle avec la date d’ovulation optimale. Elle doit ovuler idéalement 48 heures après la donneuse, mais les chances de réimplantation restent bonnes jusqu’à 4 jours après l’ovulation de la donneuse, la meilleure fenêtre de tir se situant entre 48 heures et 72 heures.
Si l’éleveur souhaite utiliser sa propre porteuse, il faut synchroniser le cycle de la donneuse, et donc son ovulation, sur la porteuse. Il faut suivre les cycles des deux juments. Quand on connait le cycle de la porteuse et que l’on sait à quelle date elle va commencer sa chaleur, on provoque le début de la chaleur de la donneuse quelques jours avant. Une autre option consiste à déclencher la chaleur de la porteuse 48 heures après la chaleur de la donneuse. On joue aussi sur l’ovulation de la donneuse. Quand la donneuse a ovulé, on provoque l’ovulation de la receveuse. Le recours à une receveuse pour une donneuse nécessite l’utilisation d’hormones pour synchroniser les chaleurs et les ovulations. Pour limiter ces injections, il y a tout intérêt à suivre un cycle « à blanc », c’est-à-dire suivre un cycle pour chaque jument, sans l’utiliser, pour bien connaitre leur fonctionnement. On pourra ainsi limiter le recours aux déclencheurs hormonaux.

Est-ce plus rentable économiquement d’avoir recours à sa propre receveuse ?

Si la porteuseappartient à l’éleveur, on économise le prix de la location. Néanmoins, il faut prévoir le coût du suivi gynécologique d’un cycle à blanc, le suivi gynécologique de deux juments, le coût des pensions en centre d’insémination. Cela reste un budget !

Illustration de la récolte de l’embryon. © Savina Blot-Dollfus

Faut-il mettre la jument au repos, si c’est une jument de concours, avant de tenter un transfert ?
Une jument peut être moins bien cyclée de par son activité sportive, mais ce n’est pas lié au transfert d’embryon en tant que tel. L’idéal est de la suivre avant la saison de concours ou pendant une période creuse pour vérifier qu’elle soit bien cyclée, avec des ovulations normales. Pour éviter toute déconvenue, je préconise aussi de faire une cytologie. Cela évite la perte de temps en saison ! Quand on connait bien le cycle de la jument il est plus facile de gérer le calendrier de concours et de reproduction, même si vouloir faire du transfert demande de la souplesse et de l’organisation. Dès que l’on impose un calendrier de concours trop stricte on se confronte à davantage de contraintes et donc on limite les chances de réussite. Il faut aussi faire attention aux produits dopants que l’on peut administrer aux juments. Si la prostaglandine, le chorulon et l’ocytocine ne sont pas dopants (demander une ordonnance pour l’ocytocine car le produit fait partie des substances dépistées), les produits tranquillisants utilisés pour coudre une jument, comme la lidocaïne, sont positifs pendant trois semaines aux contrôles anti-dopage. En revanche, le régumate n’est plus que très rarement utilisé pour cycler les juments, et supprime donc une grande partie de la problématique du dopage pour les juments en transfert.
Le transfert a-t-il un impact sur le bien-être de la jument ? Se rend-elle compte qu’on lui enlève un embryon ?
Non. On prélève l’embryon le huitième jour post ovulation, quand l’embryon descend dans l’utérus pour s’y poser. L’utérus a ouvert ses récepteurs pour accueillir l’embryon mais il n’y a pas encore de phénomène de reconnaissance maternelle.

L’impact sur la performance sportive de l’injection d’hormones pour provoquer une chaleur ou déclencher une ovulation est peu documenté. Néanmoins, les impacts sont essentiellement liés à une possible accoutumance qui limiterait les effets de l’hormone, mais sans impact sur les résultats sportifs. Enfin, le procédé de récolte embryonnaire est similaire à un lavage utérin, donc à un acte basique de traitement de la fertilité. C’est un acte peu invasif et non douloureux.

 

Le transfert a-t-il un impact sur la fertilité future de la jument ?
Non. Les juments qui font bien du transfert ont un bon système gynécologique qui fonctionnera tout aussi bien lorsque l’on décidera de faire porter la jument elle-même. L’acte en tant que tel n’a pas d’impact sur la fertilité future.

Faut-il privilégier un type de semence (congelé, frais…) pour optimiser les chances de réussite ?

La première étape consiste à produire une gestation sur la donneuse, donc nous sommes dans le même cas de figure que si l’on souhaitait remplir la jument pour qu’elle porte elle-même. Statistiquement, les résultats sont meilleurs avec de la semence fraîche et l’on observe un meilleur taux de collecte en IAF et en IART qu’en congelé.

Peut-on faire du transfert toute l’année ?

Indépendamment des règles de stud-book, on peut faire du transfert tant que la jument est cyclée, mais il y a très peu d’ovulations fécondantes entre novembre et janvier.

© Savina Blot-Dollfus

Combien de transferts peut-on faire par an avec la même jument ?

De mars à juillet, on peut récolter quatre à six fois une jument très bien cyclée. Il y a toujours un risque inflammatoire lors de la récolte qui pourrait réduire la fertilité de la jument sur les cycles suivants, mais cela reste très ponctuel.

Une jument qui fait un transfert peut-elle ensuite porter un poulain la même année ?
Oui, c’est même très fréquent chez les arabes de course, qui ont le droit à un poulain par an en transfert et à un poulain porté par sa mère génétique. Dans le stud-book Selle Français ou dans les stud-books de races de poneys, il n’y a pas de règle particulière.
Le poulain élevé par une mère porteuse aurait-il eu la même personnalité s’il avait été élevé par sa mère biologique ?

L’effet milieu et environnement joue forcément. Un cheval de course élevé par une jument lourde aurait probablement une personnalité plus nonchalante ! Le caractère de la jument va avoir un impact sur la façon dont le poulain appréhende le monde autour de lui. Mais toute la génétique reste la même et la porteuse n’aura pas d’influence sur le potentiel sportif.

Y-a-t-il un type de porteuse (race, modèle) à privilégier pour le transfert ?

Quand on a commencé à faire du transfert, nous avions beaucoup recours aux juments de trait. Mais l’effet milieu était important et ne correspondait pas aux attentes des éleveurs. La trotteuse s’y prête très bien pour sa morphologie et son caractère. Les Pur-Sang s’y prêtent moins car elles sont souvent moins patientes dans la barre de fouille ! Si l’éleveur a sa propre porteuse, il n’y a pas de race à privilégier. On préfèrera une jument qui a déjà eu un poulain car on sait qu’elle ira au bout de la gestation. Les taux de réussite sont moins bons chez les maiden. Pour les éleveurs de poneys, trouver des porteuses ponettes est un vrai défi. Or, cela reste le choix optimum pour limiter les risques de toise. En prenant une porteuse de taille jument, le poulain bénéficiera de davantage de place pour se développer dans l’utérus. Il sera proportionnellement plus grand à la naissance et ces quelques centimètres gagnés in utero peuvent peser lourd à l’âge adulte.

 

Quels retours d’expérience donneriez-vous à l’éleveur qui veut tenter l’aventure ?
Il ne faut pas faire de transfert dans l’unique optique de maximiser le nombre de poulains à la fin de l’année. C’est une technique qui reste risquée, que je compare souvent à l’insémination à la paillette ! Il faut savoir que l’on a 50 % de perte à l’implantation. L’embryon n’est pas particulièrement fragile, mais il va changer de milieux plusieurs fois, ce qui multiplie les risques d’échec. A la récolte, chaque goutte peut contenir un embryon et une goutte peut facilement se perdre si la manipulation n’est pas extrêmement minutieuse. A la réimplantation aussi car on réimplante sur col fermé, il ne faut pas trop le stimuler pour ne pas le rouvrir, ni créer d’inflammation. C’est la partie la plus technique du processus.
L’éleveur doit être préparé à accepter l’échec, la réussite n’en est que meilleure !

Propos recueillis par Savina Blot-Dollfus